LE CALVAIRE DES VEUVES AU CAMEROUN

Introduction

Une veuve au sens juridique du terme se définit comme une femme dont l’époux (l’homme avec qui elle est légalement marié) décède, le lien matrimonial les unissant étant toujours en vigueur au moment du décès. Quand c’est l’inverse qui se produit, on dit de l’homme endeuillé qu’il est veuf. En Afrique en général et au Cameroun en particulier, l’un des rares point commun qu’ont une veuve et un veuf est la perte du conjoint. En effet, dans une société camerounaise encore fortement patriarcale (où les hommes ont plus d’autorité que de femme), la veuve est confrontée à plus de difficultés que le veuf. Ces difficultés sont multiples, à la fois psychologiques, coutumières, sociales et juridiques.

I- Le calvaire social et psychologique de la veuve

Lorsqu’une femme perd un homme avec qui elle a partagé son intimité pendant longtemps, le choc est d’abord psychologique. La femme subit la disparition d’un partenaire de vie ; il en ressort un sentiment de solitude à laquelle elle doit s’adapter. En plus de la solitude, beaucoup de veuves connaissent aussi les sentiments de peur, d’incertitude et d’insécurité dû au départ de l’homme censé les protéger et subvenir aux besoins de la famille.  À ces peines psychologiques s’ajoutent des traitements sociaux péjoratifs qu’elles subissent de la part de leur entourage.

Au Cameroun, la femme qui se marie change de statut social ; elle devient « madame tel ou « la femme de… ». Du fait de ce statut, elle jouit d’une certaine considération et d’un respect, surtout si l’époux a de la notoriété. Perdre ce statut de « la femme de… » à la suite de la mort du conjoint devient dévalorisant pour la femme. La récente veuve devient alors l’objet des intrigues de la société sous le prétexte que « monsieur n’est plus là pour la défendre » ; beaucoup profitent de leur vulnérabilité pour leur infliger toute sorte de traitement : manque de respect, chantage, insultes, paroles dévalorisantes…

 Il faut aussi mentionner le fait que les amies de ces veuves deviennent suspicieuses envers elles ; beaucoup pensent : « comme son mari est décédé, elle pourrait jeter son dévolu sur le mien ». Ainsi, de nombreuses veuves voient leur cercle d’amies se restreindre à cause de ce préjugé. Et puisqu’on parle de préjugé, au Cameroun, lorsqu’un homme marié meurt, son épouse figure presque toujours dans le top 3 des suspects que l’entourage suppose. Il y a d’ailleurs une expression ironique au Cameroun adressée à l’endroit des veuves pour les consoler, avec un ton comique : « n’écoute pas ces accusations. Tu ne sais pas que toutes les veuves ont tués leur maris ? »

II- Les défis coutumiers et juridiques

Au Cameroun, le mariage entre un homme et sa femme est un processus qui allie deux dimensions : coutumière et juridique. Chacune d’elles a des conséquences sur la femme à la mort de l’époux.

Dans la dimension coutumière, après le versement de la dot et des cérémonies coutumières, l’homme et la femme sont considérés comme spirituellement unis. Suite à la dot, la femme peut quitter sa famille et devient un membre à part entière de sa belle-famille. Quand le mari décède, la veuve doit passer par un ensemble de rites traditionnels pour non seulement marquer son respect à la mémoire de son mari, mais aussi couper ce lien spirituel (surtout si elle compte refaire sa vie avec un autre homme) formé lors de la dot. Cet ensemble de rites encadrés et dirigés par la belle-famille de la veuve s’appelle le veuvage. Dans un pays pluriethnique comme le Cameroun (plus de 200 ethnies), le déroulement du veuvage a ces spécificités suivant chaque tribu. 

Seulement, le veuvage est très souvent un supplice pour les veuves. D’abord, parce que certains rites qu’elles doivent subir sont éprouvants. Par exemple : dormir à même le sol pendant plusieurs mois après la mort de l’époux ; ne pas prendre de bain pendant x semaines ; dormir dans la même pièce que la dépouille de son mari, jeûner, etc. Ensuite, parce que des membres de la belle-famille utilisent parfois le veuvage comme un moyen pour assouvir leur volonté sur la veuve, sous prétexte qu’elle leur « appartient » car elle a été « achetée par la dot ». C’est un prétexte pour assouvir leur désir notamment sexuel : c’est ainsi que plusieurs veuves témoignent avoir été contraintes à avoir des rapports sexuels avec des parents proches de leur défunts mari sous la menace des « sanctions coutumières » pour non-respect du veuvage. Dans d’autres belles-familles, certains membres influents utilisent le veuvage comme prétexte pour régler des comptes avec la veuve et se venger. Plusieurs veuves sont ainsi victimes de traitements inhumains et dégradants qui n’ont rien à voir avec les prescriptions de la coutume et des traditions ; cela peut partir des violences verbales jusqu’aux violences physiques, en passant par les humiliations diverses.

Enfin, dans la dimension juridique, le mariage est reconnu et valide dès lors que toutes les formalités requises par la loi sont accomplies.  Le droit positif a en outre aménagé des droits matrimoniaux dont les veuves sont censées jouir lors du décès de leur époux. Sauf que nombre de veuves au Cameroun peinent à bénéficier pleinement de ces droits. Très souvent, elles se font déposséder de l’héritage et du pourcentage des biens qui leur reviennent. De plus, elles sont très souvent ignorantes de leurs droits et se font donc abuser. Plus loin, la longueur des procédures judiciaires pour réclamer leur dû est un véritable parcours du combattant qui découragent plusieurs d’entre elles.

Conclusion

Les veuves ont aujourd’hui besoin d’un accompagnement psychologique et juridique pour être soutenues dans leur peine et pouvoir jouir pleinement de leur droit. La création des structures d’accompagnement dans ce sens est primordiale. En plus, il faut vulgariser au maximum leur droit afin qu’elles ne soient plus ignorantes. Enfin, il faut une réelle sensibilisation sociale sur les peines que vivent ces veuves, car beaucoup de personnes les heurtent sans connaître réellement les douleurs qu’elles vivent en silence. 

Arthur Bodi

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